On ne peut parler de peinture actuellement sans que cela soulève quelques problèmes. Non pas que ce ne soit pas possible, mais parce que la grande majorité des gens pense que la peinture est une technique anachronique, moderne, qui n'a rien à voir avec notre époque contemporaine. Et pourtant, la peinture existe, et continuera à exister. En effet, comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire, la contemporanéité dans l'art ne se définit pas par une technique en soi, mais par la position par laquelle on assume un présent. C'est ainsi que cet essai critique est destiné à l'œuvre d'un artiste colombien qui appartient depuis de nombreuses années au panorama de l'art. Miguel Angel Reyes, qui vit à Paris, est l'auteur d'une œuvre complexe difficile à cerner: de la gravure à la photographie, en passant par le dessin et la peinture. Sa peinture combine des pigments aux sables pour produire une épaisse couche d'où surgit une sorte de géographie. C'est précisément cette série d'œuvres qui nous intéresse. Ses tableaux sont une référence aux traces humaines matérialisées par les villes. Chaque tableau est une vue aérienne d'une cité imaginaire, dont on perçoit des signes architecturaux. Véritables plans picturaux, les tableaux de Reyes inaugurent une nouvelle vision de la terre et de la ville qui feraient partie de l'utopie humaine. La terre y est non seulement le prétexte thématique de l'œuvre de l'artiste, mais aussi l'essence même de sa matérialité. Les terres sur lesquelles travaille Reyes, évoquent un lieu déterminé configuré par la ville. De ces villes invisibles dont nous parle Italo Calvino où l'impossible devient la demeure des sensations. De ces villes imaginaires dont parle Marco Polo à Kublai Khan. “Kublai se sentit au fond de son âme soulagé de savoir que, du moins dans les terres lointaines, il y avait des hommes qui commençaient à apporter un contrepoint à l'attention démesurée portée par les philosophes de tous temps au problème de la constitution temporelle de l'existence humaine, en leur opposant l'imagination et la connaissance des problèmes de l'espace concret et de l'habitat humain qu'offrent différentes disciplines des sciences et des arts” [i]. Les titres de ses toiles évoquent les villes interdites, peut-être comme celle de Sodome et Gomorrhe; des villes fécondes, où croissent en leur sein une série d'embryons urbains qui peuvent à leur tour générer d'autres villes; des villes parfaites où l'ordre est impératif; des villes cosmiques où l'univers semble être captif entre leurs murs; des villes maçonniques où le compas rythme les rues; des villes spirituelles où il n'y a pratiquement rien de visible; des cités trouvées où le temps semble s'être perdu; des cités châteaux, qui abritent un roi sans royaume, etc. Enfin, ces tableaux-cités de Miguel Angel Reyes, nous mènent à penser que les villes sont la trace de notre imagination. Ce changement de perspective nous fait penser à l'aventure du Suprématisme russe, qui vint en rupture du schéma de  la perspective Renaissance. Le changement du point de vue de celui qui observe (artiste et spectateur) découle de la conquête de l'espace. Aujourd'hui, avec les images par satellite, notre perception du monde, de notre monde a radicalement changé. Qui n'a pas ressenti cette fascination en voyant le monde à ses pieds tandis qu'il survolait la terre en avion? En observant les tableaux de Reyes, on a cette même sensation, à un degré encore plus fort, car ces nouveaux territoires, ces nouvelles cités impossibles, nous parlent des limites franchissables de l'imagination.Quand Le Corbusier dessina sa “cité radiale”, il n'y a pas de doute qu'il pensait à ces cités perdues des aborigènes dont les cités solaires furent le modèle de leur civilisation. Quand Brasilia fut créée au cœur de la forêt brésilienne, la ville surgit comme un jeu de lignes qui se forgea un chemin dans la densité de la nature. Mais les villes de Reyes sont des œuvres qui nous parlent de villes impossibles; des villes organiques desquelles sont exclus les tracés pontificaux d'Urbi et Orbi, rejetant ainsi le quadrillage urbain à partir d'une croix articulée par la place. Ses villes tiennent plus de l'organique, regorgeant de formes féminines, car il ne faut pas oublier que la ville est essentiellement féminine. L'architecte Oscar Niemeyer affirmait que ses constructions sont le produit de la féminité de la nature: la ligne courbe dans ses œuvres en atteste. Reyes, à son tour, confirme cette position et nous montre en outre la possibilité de réinventer le monde urbain, grâce à ces villes imaginées, où chaque être humain semble avoir sa propre ville.
En fin de compte, l'œuvre picturale de Reyes nous fait entrevoir la complexité de son  monde imaginaire, où la ville invisible devient tangible, grâce à la virtuosité acquise inlassablement au cours de longues années de travail. Des villes impossibles où la cartographie s'élabore de manière magistrale, où l'empreinte, la trace, la fissure, le relief, les terres, forment un nouveau paysage, comme celui que l'imagination a configuré dès les premiers pas de l'homme sur la lune.
 
Ricardo Arcos-Palma
París, 26 avril, 2015
[i] ARCOS PALMA Óscar. Ensayo Revista de pensamiento crítico contemporáneo. Año 1. n° 1. Bogotá. 996. p. 242.
 
 
 
 
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